Poètes 16:9

Anthologie vidéo de la poésie en Suisse romande

L’anthologie de poésie (dénommée aussi florilège ou album) reste un des moyens les plus efficaces d’entrer en contact avec les œuvres poétiques pour un large public. Le format court, la circulation guidée autour d’un thème ou d’une forme, ainsi que la sélection réalisée par un éditeur informé, incitent à rencontrer de manière moins intimidante les pratiques de poésie de certaines époques ou cultures. Sous forme de livre imprimé, l’anthologie a permis de diffuser des traditions diverses en Occident, mais généralement réduites à la lecture silencieuse, qui leur a souvent ôté des particularités orales, gestuelles ou rituelles. Aujourd’hui, il semble impossible d’élaborer une anthologie de la poésie en Suisse sans tenir compte de la performance ou même du slam. L’anthologie vidéo se prête particulièrement bien à explorer les pratiques contemporaines, et peut aussi bien servir d’archivage pour les poètes lisant leurs œuvres.

Technique

Cette anthologie part de seize vidéos réalisées en janvier 2018 à l’Université de Lausanne par Nadejda Magnenat (tournage et montage) et Antonio Rodriguez (concept et sélection). La contrainte en était la voix nue, dans un décor dépouillé, sans artifice. Parmi les trente de la sélection, chaque poète a eu sept minutes. L’intégralité de l’anthologie est publiée en libre-accès sur le site poesieromande.ch. (hyperlien : www.poesieromande.ch/anthologie)

Adaptée à une exposition, cette série de vidéos devait montrer que la présentation en grand format pouvait servir de support idéal. Nous voulions parvenir à un objet qui puisse donner l’impression d’une puissance et d’une qualité rivalisant avec une belle impression sur double-page. Au vu de l’unité géographique de l’anthologie, les écrans évoquent un drapeau suisse, avec une croix sur un fond rouge, sans pourtant constituer une croix helvétique à proprement parler. Il importait en effet que le langage des écrans corresponde à celui des écrans ordinaires d’aujourd’hui, généralement au format 16:9. Tel un beau papier, la gamme d’écrans se trouve parmi les plus onéreuses du marché. Ces écrans franc-bord (marque) servent généralement aux publicités dans les foires commerciales pour l’industrie de luxe, l’horlogerie ou le parfum. Comme pour l’univers de l’impression, un tel choix souligne combien la poésie peut mettre en valeur les matériaux précieux de chaque époque.

Le média design a été réalisé par Patrick Donaldson pour le Laboratory for Experimental Museology, dirigé par la professeure Sarah Kenderdine à l’EPFL. Cette équipe avait déjà travaillé sur les archives du Montreux Jazz Festival. Le soin a surtout été apporté à l’interaction et la distribution des vidéos : Patrick

Historique

En janvier 2018, Nadejda Magnenat et Antonio Rodriguez ont tourné en quelques jours un peu moins de trente vidéos avec des poètes établis en Suisse romande. Cette anthologie a suscité un grand intérêt de la presse, notamment du journal Le Temps, qui a non seulement traité de ce lancement, mais a servi de tremplin pour les deux premières vidéos. Le split-screen de Narcisse, qui permettait d’incarner la voix lead et les chœurs de « Toi, tu te tais », a suscité plus de 10.000 vues en un week-end. D’abord postées sur le site poesieromande.ch (fondé en 2011), de mars 2018 à avril 2019, ces vidéos ont été visionnées plus de 35.000 fois à ce jour. Sans prétendre que chaque clic corresponde à un visionnage attentif, cette échelle de contact via internet correspond aux relations numériques contemporaines. Désormais, l’anthologie vidéo trouve un objet physique qui l’incarne au mieux et qui permet le visionnage public collectif, avec des effets impressionnants et des partages possibles.

Le réseau et la constellation

Cartographie d'un territoire poétique

Plutôt que d’élire un poète pour représenter un territoire, nous partons d’une observation rigoureuse du réseau poétique contemporain et des différents acteurs qui le constituent. Ce projet s’inscrit dans une « géographie littéraire » qui est particulièrement importante aujourd’hui. Afin d’avoir des données fiables, le projet a pris appui sur un festival annuel de poésie qui couvre toute la Suisse occidentale depuis 2016, le « Printemps de la poésie ». Si le terme « cartographie » est devenu à la mode, il reste souvent utilisé de manière métaphorique. Pourtant, dans ses méthodes, il implique un travail rigoureux de reconnaissance du terrain pour représenter l’activité dans un territoire, tant à partir de données quantitatives que qualitatives. La cartographie poétique d’un territoire est ainsi devenue un projet original mené par l’Université de Lausanne, qui part de données collectées depuis 2011. Outre les événements qui ont eu lieu lors d’une édition du festival, la carte dynamique permet d’abord de déployer l’essor des quatre éditions pour souligner la montée en force d’un projet, mais surtout les lieux et les acteurs principaux de la poésie en Suisse occidentale.

Technique

Les statistiques à la source de cette cartographie ont été collectées par l’Université de Lausanne, à partir du festival Printemps de la poésie. Des critères pour une carte réseau ont été retenus à partir des événements réalisés : lieu, organisation, partenariat des institutions, type d’institution. Plusieurs critères quantitatifs ont ensuite été sélectionnés : public, budget. Enfin, l’ensemble impliquait une pondération par des critères qualitatifs : portée de l’institution d’accueil (du local à l’international, en passant par le régional et le national), reconnaissance médiatique, prestige des invités. La partie « statistiques » du projet a été supervisée par le prof. François Bavaud (Faculté des lettres).

La deuxième partie du travail a été réalisée par une équipe de la Faculté des géosciences de l’Université de Lausanne. Le prof. Christian Kaiser a ainsi pu créer une carte réseau interactive à partir des statistiques élaborées.

Le média design a été mené par Patrick Donaldson pour le centre dirigé par la professeure Sarah Kenderdine à l’EPFL. Cette équipe avait déjà travaillé sur le projet « Super-vision » (2019), à partir des 8.000 thèses défendues à l’EPFL sur 50 ans. Ce projet intégrait alors un navigateur interactif fondé sur des rapprochements thématiques et lexicaux.

Ici, c'est le monde entier

Patrimoine transnational de la Suisse occidentale

Ce film présente sous une forme remaniée le vernissage du livre Le Poème et le territoire (Noir sur blanc, 2019), à partir d’une soirée de lancement organisée le 3 juin 2019 par l’Université de Lausanne. Cet ouvrage a permis de découvrir le patrimoine poétique considérable de la Suisse occidentale. Byron, Wordsworth, Hugo, Lamartine, Rilke, Hardy, Borges sont autant de grandes figures de la littérature mondiale qui, au cours de leurs pérégrinations européennes, ont cherché et trouvé le sublime en contemplant les lacs, montagnes, châteaux, vignobles et vastes plaines de la Suisse. Nous trouvons également de nombreux poètes d’envergure nés dans cette région : Cendrars, Jaccottet certes, mais aussi Gustave Roud, Anne Perrier, Alexandre Voisard, Corinna Bille, ou encore le chansonnier Jean Villard Gilles. À ces auteurs d’ici et d’ailleurs, la Suisse de l’Ouest doit une image, construite par l’engouement des premiers voyageurs puis des touristes venus en pèlerinage sur les traces des poètes, afin de s’imprégner des mêmes paysages. Véritable « vallée lyrique », la Suisse occidentale rassemble une rare densité esthétique et s’affirme en véritable patrimoine poétique mondial.

Technique

Ce projet ne repose pas véritablement sur des innovations technologiques, mais sur la manière de faire connaître un patrimoine transnational à partir d’un livre sur différents médias. Le réalisateur suggère alors un parcours dans les pages en valorisant les composantes graphiques de la lecture, tandis que la voix over déroule une narration enrichie d’entretiens d’experts réalisés en studio. Le film s’appuie sur le diaporama élaboré pour l’occasion.

Roue de la poésie

La poésie à votre goût

La « Recombinatory Poetry Wheel » est une réitération de la précédente installation « Infinite Line » (2014). En donnant la possibilité aux visiteurs de recombiner l’ensemble poétique du poète Singapourien Edwin Thumboo, l’installation propose un nouveau mode spectatoriel pour la performance en poésie. Après avoir filmé le poète récitant 27 de ses meilleurs poèmes, le design interactif de l’œuvre offre au visiteur un accès aléatoire à la base de données ; il devient alors possible d’entremêler des segments de poèmes de Thumboo pour créer une relecture spontanée de ses textes. « Infinite Line » était d’abord présentée dans une salle de projection immersive en 360°, dans laquelle les visiteurs étaient alors confrontés aux 27 performances vidéo en taille réelle. La « Recombinatory Poetry Wheel » est à la fois une reformulation esthétique et technique de cette première installation. Au lieu d’une projection cylindrique, une image circulaire de 200cm de diamètre est projetée contre le mur, présentant un arrangement des 27 vidéos d’Edwin Thumboo. Le visiteur utilise alors un bouton rotatif pour sélectionner la lecture du poème de son choix. L’assemblage indéterminé des lectures qui en résulte, accompagné des textes imprimés au centre de l’écran, forme alors de nouvelles entités poétiques de l’œuvre de Thumboo.

The « Infinite Line/Recombinatory Poetry Wheel » crée des performances interactives donnant lieu à un nouveau répertoire corporel et littéraire du poète. L’antécédent analogique le plus évident est celui de Raymond Queneau et de son « Cent mille milliards de poèmes » (1961) – un poème imprimé de telle manière que chaque ligne peut être séparée des autres et réarrangée. L’installation rappelle également le « cadavre exquis » des surréalistes et les cut-ups de William Burroughs et Brion Gyson. Les systèmes numériques d’aujourd’hui ont permis à l’art médiatique de créer de nouvelles formes au moyen de bases de données audiovisuelles, accessibles de manière interactive.

Alors que la poétique recombinatoire de la « Recombinatory Poetry Wheel » offre un déploiement illimité de conjonctions narratives multi-temporelles, cette dé- et re-construction suit une unité de pensée et de forme correspondant à l’identité de Thumboo et à son statut d’auteur. Ainsi, l’installation offre au spectateur la possibilité d’explorer une multitude de combinaisons possibles à partir de 27 poèmes, créant ainsi des « méta-poèmes » personnels.

Historique

Infinite Line / Recombinatory Poetry Wheel

2014 :     CityU 30th Anniversary Cultural Festival, Gallery 360, Run Run Shaw Creative Media
Centre, City University of Hong Kong, Hong Kong, China
2014 :     Jeffrey Shaw and Hu Jieming Twofold Exhibition, Chronus Art Center, Shanghai, China
2017 :     The Art of Immersion, ZKM, Karlsruhe, Germany
2018 :     Ramon Llull and the Ars Combinatoria, ZKM, Karlsruhe, Germany
2018 :     Thinking Machines, ArtLab, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL),
Lausanne, Switzerland
2019 :     Passé Augmenté x Présent Augmenté, Arts Center of Enghien-les-Bains, Enghien-les-
Bains, France

Création poétique assistée

La poésie à votre goût

Au moment où l’intelligence artificielle intervient sur plusieurs aspects de la vie quotidienne, il semblait nécessaire de montrer comment celle-ci pouvait également nous aider dans les processus créatifs textuels d’aujourd’hui. La poésie passe souvent pour le lieu de l’inspiration pure face à la feuille blanche, mais c’est oublier trop rapidement combien elle s’accompagne de traditions bien connues des poètes, de dictionnaires de synonymes ou de rimes, d’apprentissages à la calligraphie. La création assistée ne pose par ailleurs aucun problème en photographie : c’est le cas des aides numériques dans les modifications de la luminosité, de la netteté ou d’autres caractéristiques de l’image. De la même manière, le processus de création peut être soutenu par de l’intelligence artificielle ou des polices paramétriques (développées ces dernières années), tout comme de la mise en page auto-générée.
L’intelligence artificielle devient-elle créative pour autant ? Au lieu de prendre l’option illusoire et effrayante de remplacer l’homme par des générateurs de texte, encore bien défaillants, nous avons opté pour une intervention sur les différentes strates de l’écriture créative poétique. Hommes et machines collaborent dans une dynamique constante : la machine suggère, alors que l’homme choisit en permanence ; elle ne le remplace jamais, mais l’aide à faire les meilleurs choix. Cet atelier invite à explorer le chemin de la poésie avec de nouveaux outils, comme dans une chaîne de montage menant à un vaste rouleau qui collecte et assemble les énergies poétiques de l’exposition.

Technique

Cet atelier utilise l’intelligence artificielle, qui apprend des probabilités de séquences de mots grâce à des « réseaux de neurones formels », avec plusieurs couches connectées directement l’une à l’autre et récursivement dans le temps.  Ainsi, après avoir optimisé les connexions entre neurones par l’observation de 6000 poèmes (une étape appelée « entraînement »), le système peut estimer la probabilité d’une suite de mots qui lui est présentée.  Mais inversement, il lui est aussi possible de produire des suites de mots qui maximisent cette probabilité, et apparaîtront ainsi comme des vers ou des strophes bien élaborés. Les paramètres de forme soulignent des contraintes sur la longueur des suites ; les thèmes et les émotions sont modulés par la combinaison de plusieurs modèles, entraînés sur des poèmes préalablement identifiés comme représentatifs de ces mêmes thèmes ou émotions ; les rimes sont ajustées en cherchant parmi les mots les plus probables ceux dont la terminaison permet d’obtenir la rime recherchée. 

Historique

Afin d’aider l’intelligence artificielle à générer une première esquisse, deux aspects sont laissés au choix du visiteur : la forme du poème (quatrains, haïku, vers libres) et le thème (amour, mort, guerre, saisons, spiritualité…). Afin de supprimer les erreurs syntaxiques ou les faiblesses orthographiques des générateurs de texte, qui fonctionnent par rapprochements statistiques, le créateur peut corriger le texte et l’améliorer après cette première étape. Ensuite, il demande à la machine de lancer des suggestions lexicales sur un registre émotionnel (avec des degrés affectifs à choisir), ainsi que dans le domaine des phoniques des rimes. À l’aide de curseurs, le créateur donne une coloration émotionnelle au texte : plus joyeuse ou mélancolique ?

Pour terminer le poème, il reste à considérer la tradition calligraphique, à travers la recherche des polices de caractère. Le caractère utilisé, ainsi que sa mise en page, peuvent appuyer le sens du texte et donner une idée visuelle du contenu que les mots transmettent. La dernière étape du processus créatif ainsi que l’installation finale se concentrent sur ces aspects. La forme du caractère typographique du poème est déterminée par les choix faits durant les différentes étapes de la création de celui-ci. Le créateur peut modifier, dans une certaine mesure, le caractère proposé par la machine, afin d’accentuer son aspect radical ou, au contraire, d’en faciliter la lisibilité. Le poème suit son chemin : imprimée lors de l’exposition sur une feuille monumentale ou consultable individuellement en ligne, photographiée sur un smartphone et partageable à volonté.

Poetrify

La poésie à votre goût

S’adapter aux préférences des lecteurs est le rêve des anthologies numériques. Mais comment saisir au mieux les goûts sans faire appel à de longs questionnaires, ni à de minutieuses observations au fil des lectures ?  L’exploration des nouvelles formes d’anthologie vise à améliorer et à mieux connaître les contacts d’un large public avec le patrimoine poétique. Les principes de l’installation se rapprochent des plateformes musicales comme Spotify ou Apple Music, avec la possibilité de créer des « radios » représentatives de nos goûts musicaux. Plutôt que suivre une sélection d’avance composée par un expert de la poésie, cette anthologie fait place à l’interaction et invite à la découverte. Le projet est développé, à partir de 1.500 textes étiquetés et insérés dans la base de données. Les suites de poèmes s’adaptent au goût du visiteur qui peut aussitôt les partager en les lisant à haute voix à l’autre. Ici, les lecteurs sont aussi des organisateurs des suites logiques, et ils découvrent la poésie du XIXe siècle. L’anthologie est en français et en anglais. Elle obéit à deux principes distincts : l’un par proximité d’une qualité (étiquetage) ; l’autre par l’intelligence artificielle. Afin d’agrémenter la découverte à deux, l’anthologie permet la lecture à haute voix ainsi que la reconnaissance des critères qui déterminent les enchaînements.

Technique

Cette première mise en place de l’anthologie bilingue Poetrify part de 1.000 textes en français et de 500 poèmes en anglais, soit plus de 20.000 vers, versets ou lignes de prose. La première phase du travail consiste à vérifier l’édition des textes, à en garantir la qualité et les étiqueter (« tags ») selon le sexe de l’auteur, la forme poétique, les thèmes et les différents critères retenus. Les mêmes textes ont servi pour la base de données qui alimentait l’intelligence artificielle.

Dans cette anthologie numérique, nous offrons à chacun une façon de cheminer dans une vaste collection de poèmes. Fléché, l’itinéraire épouse les préférences décelées au fur et à mesure que l’on avance dans l’anthologie. Pour mettre en œuvre une telle anthologie, la machine propose une gamme de préférences explicites qui délimitent la partie initiale du parcours.  Puis, une similarité moins explicite, utilisant les réseaux de neurones artificiels pour représenter les mots, permet de continuer le parcours dans la logique du début, avec toutefois une promesse de surprises et d’heureuses découvertes pour peupler son anthologie personnelle.